Mener de front Méditation et Action – texte par Georges Stobbaerts 2013

Mener de front Méditation et Action

 

Nous verrons que les rapports de la méditation et de l’action sont passagers. Cela ne veut pas dire qu’il faut s’installer en méditation tous les matins.

Car cette méditation dont je vais vous parler se placera surtout au cœur de l’action. Alors seulement l’action méritera son nom. Car en temps ordinaire l’homme réagit plus qu’il n’agit vraiment. Les rapports de la méditation et de l’action sont ceux du passager

« Aller vers lui est l’essence de l’ignorance, le repos en lui est l’essence de la Connaissance »
Ibn Arabi

Voyez-vous, les classifications, les définitions, peuvent m’intéresser sur un certain plan, mais voyez-vous, cela ne concerne pas la vraie Vie.

J’ai actualisé dans ma vie le Budo, le Zen, le Yoga et certains livres sacrés – parce-que certaines colorations par des visions des choses, cela fait naître en vous l’Amour. On aime toujours ce qui nous touche… Dans le véritable Amour, vous devenez identique à ce que vous aimez… Quand vous tombez amoureux d’une tradition, c’est cet amour profond qui produira une transposition organique.

Il est évident de parler de ma vie personnelle cela ne m’agace pas, mais j’ai compris il y a peu de temps que ce qui m’arrive personnellement n’a aucun intérêt, ni pour moi, ni pour mon environnement.

L’approfondissement de la démarche du pratiquant, qui pratique une Voie, est ce qui nous intéresse ici.

Si l’on me demande de parler de Dieu, qu’il soit impersonnel ou personnel, je dis que le mot Dieu, c’est un concept. Quand vous levez le concept « Dieu » il peut rester une intimité – mais l’intimité n’est jamais « formulable ».

Le Dieu de Me Eckhart est « écoute », mais il n’a pas de barbe blanche.

Ce n’est pas un dieu anthropomorphe, personnel.

Si l’on prend les divinités de l’Inde comme exemple, il faut savoir qu’elles ne sont pas des inventions conceptuelles. Ce sont des éléments présents entre deux états, l’état de veille, et de sommeil profond, et de rêve. Quand vous vous donnez sciemment à ces moments, tout ce monde subtil peut vivre en vous. Mais le mot Dieu n’intervient pas. Il n’y a pas que des escargots, des vers de terre, des poissons, des humains et des anges :

il y a beaucoup d’autres choses, et c’est dans les passages entre les états que ces contacts ont vraiment lieu.

Dans le Yoga, on explore la corporalité, le psychisme, tous ces éléments de très grande pureté sont, jusqu’à un certain point, incarnés, liés à certaines régions du corps, c’est-à-dire que l’on n’a pas besoin de prendre ( ? un billet ??) pour aller à Vana(?).., ni aller au Japon. Tout cela on le porte en soi. Toutes les colorations, les odeurs, les goûts, les touchers, les sons correspondent à ces niveaux de divinités. Le corps est fait de ces sons, odeurs, goûts, perceptions.

Quand on abdique sciemment de la corporalité de défense, de peurs, désirs, préhensions, une autre corporalité se présente, une corporalité cosmique. À ce moment-là, on a l’intime conviction de ce que peut vouloir dire « le monde en soi », ce n’est pas un concept.

Si on me demandait quelle est la voie la plus directe pour parvenir à la perception du Divin, je dirais par l’acceptation totale de l’absence du Divin.

Par la prise de conscience que tout votre fonctionnement est sans cesse refus, sans cesse ajournement – par la prise de conscience que l’on vit uniquement dans la mémoire, que le corps vit sans cesse dans l’attraction-répulsion, dans la réaction continuelle, dans la peur, qu’il y a sans cesse cette référence à soi-même.

Cette vision de l’absence de Dieu, est le premier reflet de sa présence…

L’absence suit la présence et ensuite, si celui qui a perçu l’absence de Dieu puis sa Présence a la grâce d’abdiquer totalement, il reste une évidence. Cette totale acceptation, dont a parlé Maître Eckhart *, c’est ce Dieu qui est au-delà du Dieu créateur et de la créature. Le Dieu créateur est un Dieu limité.

Il y a quelque chose qui se trouve au-delà du Dieu Créateur, au-delà des créatures : c’est le vrai Dieu.

Il n’a pas de forme. Il n’appartient à aucune religion, et toutes les religions s’y réfèrent. C’est la lumière qui éclaire les états de veille, de rêve, de sommeil profond.

C’est ce qui fait que si on vous demande rapidement « Est-ce que vous êtes ? », vous dites oui. Vous dites « Je suis ». Cela c’est le reflet de ce Dieu. Ce n’est pas « je suis ceci…je suis cela… ». Uniquement : « Je suis ». C’est le « cœur ».

Lorsqu’un musulman vous salue, il touche le cœur de sa main. C’est le silence profond commun à toutes les traditions.

Il n’y a pas un cœur chrétien, japonais, hindou ou musulman.

J’ai posé un jour la question suivante à un Soufi. « Est-ce que l’éveil est commun à toutes les traditions ?» Il me dit « Tout commence par l’humilité, c’est arrêter de prétendre diriger sa vie, se rendre compte que le courant des choses est là, et se donner à ce courant sans vouloir diriger.» Quand vous lisez certains textes sacrés, il y a ce même silence, « Dans toute la Création, rien n’est plus semblable à Dieu que le silence » cette même humilité, qui ont présidé à l’expression. Mais il n’y a pas d’éveil personnel. Quant Eckhart finit son sermon, il dit toujours, d’une manière ou d’une autre « Prions pour que cette vérité prenne corps en nous. » Il ne prétend jamais être dans la Vérité.

Il faut savoir que l’éveil personnel, c’est un manque de compréhension.

L’éveil, c’est la réalisation qu’il n’y a personne qui peut s’éveiller.

On est dans un moment de totale humilité. Dire « je suis éveillé », cela ne veut rien dire…

On dit souvent qu’il y a des effets physiologiques qui accompagnent cette humilité, qui viendront soudainement.

Sachons qu’il y a des degrés de relativité dans l’ignorance. C’est-à-dire que l’on peut constater une certaine forme de purification.

Un jour vous êtes triste, avec des tas de problèmes sur le dos, vous sortez de chez vous, et vous regardez le Ciel et vous êtes heureux.

Incontestablement, on peut apercevoir une forme d’apaisement qui se fait dans ce que l’on appelle une démarche spirituelle. On peut tout à fait se rendre compte de cela c’est une constatation purement objective.

Au niveau de l’effet physiologique de l’éveil, certains maîtres ont formulé qu’en effet, à la suite d’une compréhension totale, la transformation s’immisce dans toutes les cellules et qu’il y a une harmonisation corporelle et mentale. C’est seulement en Inde que l’on a porté l’attention là-dessus. Dans la tradition chrétienne, on n’a jamais mis l’accent sur cette extériorisation ; dans le Bouddhisme et dans l’Islam à ma connaissance très peu. Pour la bonne raison que cela n’a aucune importance.

Lorsque quelqu’un est libre lui-même, que dans son corps se fait un certain rééquilibre, que son psychisme se transforme, cela ne le concerne pas parce qu’il n’y a plus personne.

L’éveil est soudain alors que la transformation du corps, dans l’espace et le temps, est progressive. On n’a même pas besoin d’en parler, dans le sens où la recherche de l’éveil n’est pas la recherche de ses expressions. En profondeur, elle est pressentiment d’être libre. Cela n’a rien à voir avec un effet. On pourrait dire que c’est presque dommage qu’il y ait ces effets. Ce qui importe, c’est de se sentir libre.

C’est toujours le mental qui recherche sans cesse… celle de rejoindre l’esprit alors que le corps existe toujours, d’aller au plus superficiel au plus profond ! mais du point de vue de l’Orient, il n’y a pas de corps et d’esprit. C’est la même chose.

En Occident on les a séparés.

Le corps c’est le cerveau, le cerveau c’est la pensée. Il n’y a pas de différence – mais chaque humain suit son cheminement selon ses propres lois, il ne faut pas juger.

Il n’y a pas deux voies identiques…qu’elle soit superficielle, ou de profondeur, relève uniquement du commentaire…car tôt ou tard elles peuvent devenir profondes…

Si on lit les sermons de Me Eckhart – qui peut provoquer un questionnement pour certains, ou une aide, c’est merveilleux – ce qui importe c’est qu’une tradition soit reformulée à l’époque où elle est ressentie.

Quand vous lisez Eckhart ou certains textes, cette transposition se fait spontanément – parce que ce sont des grands textes. Quand vous lisez des textes très trafiqués, il faut transposer, ce qui demande parfois quelqu’un qui transpose pour vous, comme un instructeur spirituel.

Un maître spirituel ne peut pas nous aider ! Mais peut nous aider à nous rendre compte que nous ne sommes pas libérés.

Cet éveil est un processus de maturation – il vous aidera à formuler votre questionnement, à le préciser. On dit lorsque l’élève est prêt, le maître apparaît.

Cette rencontre est comme un courant qui nous prend en charge.

Il faut faire la différence, et ceci est très important pour ne pas tomber dans des ambiguïtés, il y a le Maître (Guru) et un instructeur spirituel. Le Guru est celui qui est pleinement établi dans la vérité, dont la présence se reflètera dans la présence de l’élève. Son enseignement n’a aucun sens :

il n’enseigne pas. Son être seul est son enseignement. Il y a des maîtres qui formulent, répondent à des questions, il y en a qui ne répondent pas. Il est difficile de cerner un enseignement, car souvent le maître est paradoxal.

L’instructeur spirituel, c’est quelqu’un qui a eu un pressentiment profond de la vérité et qui s’est rendu compte de ses antagonismes mais qui n’est pas établi sciemment dans la Vérité. En Inde, c’est ce qu’on appelle un «Upa Guru». Il aide à préciser les questions fondamentales mais c’est la vie qui amènera un questionnement. Si on souffre il faut regarder, interroger profondément. Que veut dire en profondeur la souffrance.
Comment cela fonctionne en nous ?
Dans votre corps que se passe-t-il ?
Quand votre corps respire que se passe-t-il ?
C’est très important de voir cela.

Il faut qu’il y ait un questionnement de l’instant – c’est la vie qui amène le questionnement.

Jusqu’à un certain point ce déferlement de l’Orient a sa valeur, dans le sens où il se cache quelque chose de plus profond. C’est un signe des temps, le temps de Kali Yuga nous dit l’Inde.

Pour trouver un guide en Inde, il faut savoir que dans toutes ces foules, si on veut chercher quelque chose de sérieux, il y a 4 à 5 millions de saint-hommes sur les routes : parmi ces sadhus, 99% sont des criminels, des psychopathes et des gens simples. Vous avez 1 pour cent de sadhus de très grande profondeur et ils s’habillent de la même manière que les autres. Le 1 pour cent se cache derrière une masse. L’adepte qui veut vraiment la vérité est obligé d’utiliser toute son énergie, toute sa discrimination afin de discerner l’authentique sadhu.

Le Grand Maître c’est celui qui reste assis dans la vérité – à jamais il ne peut revenir à un fonctionnement personnel – chez qui un désir ou une peur ne peuvent apparaître, sinon cela signifie que la personne a encore un fonctionnement, limité, réactif. Maître Eckhart dit très clairement au sujet de St Paul « Quand la Grâce l’a quitté, il resta ce qu’il était, un pauvre homme ! »

Un Maître n’a pas d’ego qui vient de temps en temps et qui s’en va – Le Maître est établi sans désir. Évidemment il y en a très peu. Quand on rencontre un tel être qui ne prétend rien, ne demande rien, vous êtes percuté.

C’est ce qui importe…

Me Georges Stobbaerts 2013

* Maître Eckhart : Dominicain, penseur qui transcende les religions. Condamné par l’Inquisition.

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